Le lundi 11 février 2013, l’emblématique Sheikh Khader Adnan, âgé de 34 ans, s’est rendu au Comité international de la Croix Rouge dans le quartier d’Al-Bireh à Ramallah. Il a tranquillement informé le personnel présent qu’il se mettait en grève de la faim à l’intérieur de leurs locaux, en faveur des Palestiniens actuellement en grève de la faim dans les prisons israéliennes.
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- La mère de Samer Issawi, un prisonnier palestinien qui a entamé une grève de la faim il y a plus de 200 jours, assiste à un sit-in de solidarité devant les bureaux de la Croix-Rouge à Jérusalem, le 14 février 2013 - Photo : AFP/Ahmad Gharabli
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« Ce n’est pas une grève de la faim de solidarité », a-t-il précisé. « Les prisonniers sont une partie de nous-mêmes, ils font partie de nous. Je suis en faveur des prisonniers dans leur bataille des ventres vides. »
L’an dernier, Khader Adnan avait suivi, solitaire, une grève de la faim qui a duré 66 jours, contestant ainsi ses interrogatoires et la détention qu’il subissait sans inculpation ni procès. Sa grève de la faim a poussé d’autres prisonniers à entreprendre la même action individuelle - de Hana Shalabi à Bilal Thiab et Thaer Halahleh. Cela s’ajoute à la grève de la faim collective qui a duré 28 jours en avril 2012, à laquelle ont participé environ 2500 des 5000 prisonniers palestiniens en Israël.
En réponse à l’installation d’Adnan dans ses locaux, le CICR a décidé de fermer son bureau, suspendant ainsi ses services en faveur des prisonniers et de leurs familles. Seule la pièce à côté de la véranda où Adnan est installé depuis la semaine dernière est restée ouverte, où il peut boire de l’eau.
En tant qu’organisation internationale de défense des droits de l’homme, le CICR est avant tout responsable de la protection des populations civiles en temps de guerre, et du respect de la Quatrième Convention de Genève.
En ce qui concerne les détenus, le CICR a pour mission de s’assurer que les droits des prisonniers sont garantis et de maintenir les liens familiaux - par exemple par la distribution aux prisonniers des lettres venant de leurs familles. Le CICR coordonne [avec les forces occupantes] les visites familiales, et se doit de protéger les droits fondamentaux de ceux qui sont privés de liberté.
L’organisation basée à Ramallah des Jeunes Palestiniens pour la Dignité, a publié un communiqué ce mercredi condamnant la décision de la Croix-Rouge de fermer ses locaux :
« Cette fermeture est un acte de provocation et de chantage facile à l’égard de notre peuple et de son droit à la solidarité [avec ses détenus], alors que le CICR fournit des services conformes aux politiques de l’occupation. Ces mêmes politiques dépouillent le travail du CICR de n’importe quelle valeur, bien qu’il s’agisse d’une organisation internationale censée être responsable de la protection de notre peuple et de ses prisonniers dans le cadre des lois humanitaires internationales. »
Lors d’une conférence de presse tenue le même jour, Adnan a dit ne pas vouloir déclarer la guerre au CICR, mais que la réaction de l’organisation est contre-productive pour les besoins des familles des prisonniers.
« La fermeture des bureaux ne sert qu’à accroître les souffrances de nos prisonniers et de leurs familles », a-t-il déclaré. « La Croix-Rouge a omis de porter la cause des prisonniers à un niveau international. Ma grève de la faim et de sit-in est un message à la communauté internationale et aux organisations de défense des droits humains qui restent silencieuses sur les violations du droit que l’occupation israélienne commet contre les prisonniers. »
La porte-parole du CICR, Nadia Dibsi, a informé les médias que le bâtiment restera fermé « aussi longtemps que des manifestants palestiniens resteront à l’intérieur ». Cependant, ce n’est pas le terme qui a été employé à propos d’Adnan, selon Maher Barghouti, le frère d’un prisonnier.
« J’ai appelé la Croix-Rouge mercredi matin pour poser des questions sur le permis dont j’ai besoin pour visiter mon frère dans la prison de Rimon », a dit Barghouti. « Mais ils ont refusé de me donner le permis, me disant de les rappeler une fois que les ’criminels’ auront quitté leur immeuble. »
Le CICR est allé encore plus loin et a accusé Adnan d’accrocher des banderoles et des drapeaux du parti politique du Jihad islamique dans la pièce où il est installé.
« Ils ont dit aux partis nationaux [du Fatah, FPLP, FDLP, et du Hamas] que j’ai suspendu des banderoles et des drapeaux du Jihad islamique ici », a déclaré Adnan. « Ce qui me met le plus en colère, c’est que certains feignent de le croire. »
Le seul drapeau dans la chambre est une pièce d’étoffe brune sur laquelle est écrit en lettres blanches : « Nous allons vivre dans la dignité, en solidarité avec les prisonniers de la liberté. »
La pièce où vit à présent Adnan vit est peu meublée. Elle comprend deux bancs, un matelas, un chauffage et une télévision avec aucun système de réception. Pas d’autres installations sont disponibles.
« Je me sens vivre ici comme un détenu », a dit Adnan en souriant. « Je garde des bouteilles d’eau pour boire et m’en servir pour uriner. »
Le jeudi, trois hommes se sont joints à Adnan dans sa grève de la faim. Les militants Yasser Salah et Muhannad al-Azzeh se sont rendus au bâtiment de la Croix-Rouge à 11 heures du matin et 2 heures de l’après-midi, respectivement. Le jeune militant Yahya Abu il-Rob les a rejoints quelques heures plus tard. Les hommes ont choisi de se lancer dans une grève de la faim suite aux nombreuses pressions exercées sur Adnan, venues de l’Autorité palestinienne, des partis nationaux, et même de quelques-unes des familles des prisonniers.
« Deux hommes qui ont leurs frères en prison sont venus et m’ont interpellé au sujet de mon acte », a déclaré Adnan. « Nous avons eu une longue discussion, mais je ne reviendrai pas sur ma décision. La Croix-Rouge doit être tenu responsable de ses manquements et de son incapacité à protéger les prisonniers palestiniens. »
Le ministre des Affaires des prisonniers, Issa Qaraqe, a également visité Adnan, et tout en exprimant son soutien au gréviste de la faim, il a souhaité qu’Adnan s’installe en-dehors du bâtiment de la Croix-Rouge.
À l’intérieur des prisons, la grève continue
Aujourd’hui marque le 208e jours de grève de la faim de Samer Issawi. Le prisonnier jérusalémite, qui avait été libéré lors de l’échange des prisonniers en octobre 2011, a été kidnappé à nouveau à l’été 2012, en violation des conditions de l’accord. Il a été retenu depuis en prison sans aucun procès ni même la moindre inculpation.
Shireen Issawi, la sœur de Samer et elle-même ancienne prisonnière dans les prisons israéliennes, a déclaré que son frère n’a consommé que de l’eau depuis le mois de janvier. Issa Qaraqe a décrit l’état général d’Issawi comme très mauvais. Samer a perdu 35 kilos et souffre de douleurs aux reins. Il a également perdu toute sensation dans la moitié droite de son corps.
Trois autres prisonniers sont également en grève de la faim. Ayman Sharawneh a annoncé sa grève le 1er Juillet 2012, alors que Jafar Ezzedine et Tareq Qaadan ont commencé leur jeûne le 27 novembre. Tous protestent contre leur détention administrative, ce qui signifie qu’ils sont détenus indéfiniment par Israël sans aucun accusation portée contre eux.
Avec presque aucune mobilisation en faveur des grévistes de la faim, on a assisté le 15 février à de grandes manifestations à Ramallah et Al-Bireh, et ce jour a été baptisé le vendredi de « Brisons le silence ».
Les comités de lutte populaire ont encouragé quelques centaines de personnes à prier en dehors de la prison d’Ofer à Beitunia, au nord-ouest de Ramallah. Les prières terminées, environ 600 manifestants sont restés pour protester devant la prison. Ils ont été repoussés par d’énormes quantités de gaz lacrymogènes tirées par l’armée d’occupation israélienne, ainsi que par des balles en caoutchouc et des balles réelles. Plus de 100 manifestants ont dû être traités sur place pour des blessures, mais aucun mort n’a été signalé.
Dans al-Bireh, plusieurs tentes ont été mises en place sur le terrain en face de la mairie. Sheikh Raed Salah, du mouvement islamique dans les territoires de 1948, est arrivé et a dirigé le sermon du vendredi devant des centaines de personnes. En visite à l’improviste, le chef de l’AP de Ramallah, Mahmoud Abbas, est arrivé et dans un bref discours, a affirmé que la libération de tous les prisonniers palestiniens restait une priorité absolue, mais sans offrir le moindre plan d’action.
Mais pour les prisonniers en grève de faim, les quelques mots de M. Abbas et les actions tardives de soutien et de solidarité peuvent se révéler être trop peu, et trop tard.
Des rapports de plus en plus alarmants sont publiés presque quotidiennement par des organisations juridiques et médicales, concernant l’état de santé critique des quatre grévistes de la faim, et de Samer Issawi en particulier. Avec le temps qui passe et qui représente un luxe que les prisonniers ne peuvent plus se permettre, des actions telles que celles prises par Adnan afin de bousculer une organisation internationale dont le mandat est de protéger les détenus dans les prisons de l’occupation, représentent peut-être l’un des derniers espoirs qui subsistent.
* Linah Alsaafin, diplômée de l’université de Birzeit en Cisjordanie est née à Cardiff au pays de Galles et a été élevée en Angleterre, aux USA et en Palestine. Jeune palestinienne de 21 ans, à la fois de Gaza et de Cisjordanie, elle est active dans la résistance populaire non armée et blogueuse pour The Electronic Intifada.
Son site est : http://lifeonbirzeitcampus.blogspot.fr/