Docteur en médecine de profession, il est aussi membre du Conseil législatif palestinien et a été candidat à la présidence de l’Autorité palestinienne en 2005. Agé de 56 ans, Mustafa Barghouti porte plusieurs chapeaux, mais ce qu’il représente le plus est l’espoir de l’émergence d’un troisième pouvoir pour son peuple palestinien qui en a marre du système binaire Fatah-Hamas.
A Delhi récemment pour participer à une conférence sur une Paix juste en Palestine, il minimise avec modestie l’importance de son parti – l’Initiative nationale palestinienne (INP), dont il est actuellement le président.
Barghouti a fondé le parti avec Edward Said, décédé, et Haider Abdel Shafi, qui avait présidé la délégation de Madrid en 1990. « Nous avons le soutien de centaines d’intellectuels et de militants parmi les Palestiniens dans les territoires et dans la diaspora. Notre programme consiste à mettre fin à l’occupation de notre pays et notre peuple par Israël, assurer la justice sociale pour tous – femmes, travailleurs, jeunes, handicapés à l’intérieur de la Palestine et construire une démocratie – la Palestine devrait être une démocratie. Notre lutte est basée sur la résistance non violente, l’unité nationale et une puissante campagne de solidarité qui inclut le boycott, le désinvestissement et les sanctions (BDS) contre la campagne d’Israël. Il insiste sur le fait que 80% des membres du parti ont moins de 24 ans et des femmes ». C’est incontestablement une troisième force montante dans la politique palestinienne.
Le parti, créé en 2002 critiquait d’une part le processus d’Oslo, auquel Barghouti et Said s’étaient opposés avec véhémence (Barghouti avait quitté le Parti communiste qui était partie prenante dans les accords d’Oslo), et d’autre part en réponse aux conflits internes qui émergeaient dans la politique palestinienne.
« L’Organisation de libération de la Palestine (OLP) est l’organisation chapeau de toutes les organisations palestiniennes mais malheureusement, depuis plus de 20 ans depuis Oslo, l’OLP semble s’être arrêté de se développer. Il est devenu marginalisé et minimalisé au profit de l’Autorité palestinienne, ce qui a été une grosse erreur. Nous devons essayer d’ouvrir OLP à plus de pluralisme et plus de partis. » L’INP, fait surprenant, ne fait pas partie de l’OLP. Il proteste aussi contre le fait que l’OLP n’a pas eu d’élections pendant un certain temps. Critique amer de la politique israélienne envers les Palestiniens et champion passionné de la cause palestinienne, il pense que le processus de paix « est inutile tant que Israël continue à avoir et à construire des colonies. La réalité est que nous avons un médiateur qui n’est pas impartial. Le processus de paix est devenu une substitution à la paix, une dépendance de la communauté internationale pour s’absoudre elle-même de sa culpabilité dans la souffrance des Palestiniens. »
Il accepte avec franchise la responsabilité palestinienne pour le processus presque défunt. « Les Accords d’Oslo étaient le pire de ce qui pouvait nous arriver. Arafat lui-même m’a confessé que c’était un piège. Depuis Oslo, l’économie israélienne a quadruplé et a ouvert des moyens pour établir des relations avec l’Inde et la Chine. Je suis prêt à accepter la solution des deux Etats mais elle semble moribonde et on retournera à la Solution d’un seul état. Mais une chose que les Palestiniens n’accepteront jamais est d’être les esclaves de l’occupation. »
Alors, comment est-il devenu un militant ? « J’ai été actif depuis 1967 quand j’avais 13 ans ». Quand Israël a capturé la Cisjordanie de la Jordanie dans la guerre de 1967, Barghouti était à peine un étudiant mais il a réalisé que « l’histoire palestinienne en était devenue une de confiance en soi et de mobilisation en soi ». Jusque là, nous nous étions attendu à l’aide du monde arabe, mais cette guerre a prouvé que nous étions livrés à nous-mêmes. »
Comme docteur, Barghouti a contribué à installer la Société d’assistance médicale palestinienne, il y a 30 ans. « Nous avons initié un nouveau concept de soins médicaux primaires et aussi des femmes travailleuses médicales. » Il a passé par presque chaque village et ville dans les territoires palestiniens et a vu « la réalité de la Palestine » - quelque chose qui a renforcé sa résolution de servir son peuple. En 1989, il est devenu un des fondateurs de l’Institut de la santé, du développement, de l’information et de la politique, un groupe de réflexions représentant une alliance de 90 organisations de la communauté palestinienne.
Il a été nominé pour le Prix Nobel de la paix pour sa résistance non-violente. « Nous croyons que la non-violence est la méthode de résistance la plus efficace et une grande partie de notre lutte a été non-violente, » dit-il rappelant la grève arabe de 1936 contre les Britanniques en Palestine et la première Intifada qui a éclaté dans la Bande de Gaza et la Cisjordanie dans les années 1980.
Barghouti s’est engagé avec beaucoup de Palestiniens plus jeunes dans la résistance non-violente contre des politiques israéliennes comme le Mur de séparation, les pratiques économiques inéquitables et la punition collective. « Nous avons créé un mouvement contre le Mur avec des manifestations, des sit-ins, même en démolissant un peu du mur avec nos mains nues (près du village de Neilin proche de Ramallah). Une fois, nous avons retiré des barricades près de Bethléem. » Il était parmi les 26 personnes de la première flottille qui a essayé d’apporter de l’aide humanitaire à Gaza en 2008. En septembre, Israël a empêché une flottille juive d’atteindre Gaza.
Il est aussi le fer de lance d’un mouvement pour le boycott de produits israéliens en Cisjordanie. « « Nous avons l’intention de lancer une grande campagne pour le boycott de jus de fruits d’Israël, » dit-il. Est-ce faisable pour l’économie palestinienne ?
« Si nous augmentons la production locale, ne serait-ce que de 5%, on pourrait augmenter l’emploi local, ce qui est un besoin pressant. » Son parti fait aussi campagne pour que le gouvernement commence un fonds pour l’éducation d’étudiants, parce qu’il trouve que « l’Autorité palestinienne dépense trop pour la sécurité qui en réalité soutient l’occupation (israélienne). En fait, il estime que l’Autorité devrait « aussi boycotter la coopération de sécurité avec Israël, qui est plus destinée à protéger les intérêts israéliens. »
L’INP de Barghouti a aussi collaboré à servir d’intermédiaire pour les accords de La Mecque en 2007 entre le Hamas et l’OLP. Mais, il reconnaît avec mélancolie que le « gouvernement unifié a été marginalisé depuis le blocus imposé par Israël ». « Maintenant le seul chemin devant nous est de ramener la démocratie et avoir des élections présidentielles et parlementaires qui ont été annulées. Même des élections municipales ont été annulées par l’Autorité palestinienne. Le Hamas et le Fatah – font tous les deux une grande erreur. »
Une autre contribution (qu’il ne mentionne pas mais qu’un ami américain qui l’accompagne fait) a été d’obtenir le retrait du nom de Nelson Mandela de la liste US des terroristes, quelque chose qu’il avait souligné dans une interview à CNN !
Interrogé sur ses attentes du monde arabe et si celui-ci y répond ( ??? if it had lived up to it) la réponse vient sur le champ : « Le monde arabe aurait pu faire beaucoup plus pour les Palestiniens. Nous attendons d’eux qu’ils rejoignent la campagne de boycott et de désinvestissement contre Israël, » mais il reste suffisamment réaliste pour comprendre que « tandis que certains le feront, d’autres ne le feront pas ». « Notre région a trois forces opérantes – l’Iran, la Turquie et Israël…Le monde arabe est marginalisé et on a besoin de démocratie dans le monde arabe. Le manque de démocratie est un problème majeur dans notre partie du monde. »
Et alors il dit avec nostalgie, « Vous ne savez pas ce que vous avez en Inde. Vous avez beaucoup de chance. En Palestine, même quelques municipalités n’ont plus eu d’élections depuis 13 ans. Dans les élections de 1996 il y avait un grand enthousiasme parmi le peuple, bien que les élections étaient truquées. Malgré cela les gens avaient beaucoup d’espoir et d’attentes. Nous n’avons pas simplement besoin d’un état mais d’un état démocratique. »
Au sujet de ses attentes de la part de l’Inde, Barghouti dit, « Nous sommes désolés par le retournement politique de l’Inde…ce n’est pas la politique indienne traditionnelle mais nous Palestiniens, nous nous sommes trompés à Oslo où nous avons aidé à ce changement. Oslo a aussi ouvert la voie pour des pays arabes et musulmans pour établir des relations diplomatiques et des liens commerciaux avec Israël. Donc, nous ne pouvons pas blâmer l’Inde qui a suivi la voie adoptée par certains pays arabes et musulmans comme l’Egypte et la Jordanie. » Néanmoins, il a l’impression que le temps est venu pour que la société civile élève la voix, » et il souligne qu’il n’est « pas pessimiste ». Cela commence toujours lentement, avec les partis de gauche exprimant d’abord leur soutien pour les mouvements de libération nationaux, ensuite la société civile prête sa voix et un jour, cela arrive, je crois que les choses vont changer. »
Dans quelle mesure pense-t-il que la campagne BDS est éthique, vu qu’il y a des organisations et des individualités en Israël qui sont opposés à la politique gouvernementale vis-à-vis des Palestiniens ? « Le mouvement pour la paix en Israël est surtout composé d’individualités, et elles soutiennent aussi le BDS. Il y aura toujours des braves gens partout. J’ai plus confiance dans la diaspora juive que je trouve plus sensible. » Après tout, dit-il, « la lutte palestinienne n’est pas pour moi une question de nationalisme mais de justice. »
http://www.thehindubusinessline.com/life/2010/10/29/stories/2010102950120400.htm