9 juin 2009
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Sans aucun doute bien des gens d'obédiences diverses vont se sentir
soulagés devant le discours du Président des Etats Unis au Caire
aujourd'hui. Ils y verront un ton nouveau , un appel à la paix, bien
loin du clash des civilisations à la Bush. Mais est ce vraiment le cas?
On peut s'attendre à ce que les commentateurs politiques montrent du
doigt le fait qu' Obama renvoie dos à dos la violence des palestiniens
occupés et celle des colonisateurs israéliens, ou bien qu'il n'a pas
abandonné l'idée que les Etats Unis doivent donner au monde des
leçons de bonne conduite y compris sur la meilleure façon d'exiger ses
droits, ou bien qu'il réduit le conflit israelo-palestinien à un
conflit religieux, ou bien qu'il continue à justifier la guerre en
Afghanistan, etc... Certes, il faut le remettre en question sur tous
ces points.
Mais ce qui m'affecte le plus, en tant que laïque algérienne, c'est
qu'Obama ne s'est pas démarqué de l'idée pernicieuse qu'il existe des
civilisations homogènes, idée qui était au coeur de la théorie du
'clash des civilisations'. A ceci s'ajoute le fait qu'en bon
américain, il mélange civilisation et religion. Il oppose de façon
répétée ' l'Islam et l'Occident' ( en tant qu' entités- civilisations
hétérogènes), 'l'Amérique et l'Islam' (un pays / une religion); il
souligne que ' l'Amérique n'est pas en guerre avec l'Islam' ( un
pays / une religion). Donc, il y a des nations en 'Occident', mais en
'Islam' pas.
Le vieux Jomo Kenyatta disait des colons britanniques: 'quand ils sont
arrivés, nous avions la terre, ils avaient la Bible; maintenant nous
avons la Bible, ils ont la terre'. Le discours d'Obama le confirme: la
religion, c'est assez bon pour nous et ça suffit à nous définir. Sa
compilation finale de sagesse monothéiste laisse à penser que c'est là
le seul discours intelligible aux barbares.
Tout ceci est de bien mauvais effet sur nous, citoyens de pays où
l'Islam est la religion majoritaire et souvent la religion de l'Etat.
Tout d'abord, Obama s'adresse à 'l'islam', comme si une idée, un
concept, une croyance pouvait l'entendre. Comme si ceux ci ne devaient
pas nécessairement être médiatisés par des gens - ceux qui adhèrent à
ces idées, ces concepts, ces croyances. Comme le disait Soheib
Bencheikh, autrefois Grand Mufti de Marseille, actuellement Directeur
de l'Institut des Hautes Etudes Islamiques à Marseille:' je n'ai
jamais vu un Coran marcher dans la rue'...
Peut on imaginer une seule minute qu'Obama parle au christianisme? ou
au boudhisme? Impossible, ils parlerait aux chrétiens, aux
boudhistes, ... bref, à des gens, des individus différents les uns des
autres.
Obama essentialise l'islam, il ignore les vastes différences qui
existent entre les croyants musulmans, - différences d'interprétations
religieuses et d'écoles de pensée certes, mais aussi différences
culturelles, et divergences politiques. Il est impossible, devant une
telle diversité, de parler d''Islam' de façon aussi totalisante qu'il
le fait. Il n'oserait pas faire de même s'il s'agissait du
christianisme, en amalgamant, par exemple, l'Opus Dei et la théologie
de la libération...
Malheureusement, essentialiser l'Islam fait le jeu des intégristes
musulmans dont l'effort permanent est de promouvoir l'idée qu'il
existe un seul islam - le vrai, c'est à dire le leur - , un monde
musulman homogène, et par voie de conséquence, une loi islamique
unique qui devrait être respectée par tous, au nom des droits
religieux. La moindre étude des lois dans les pays 'musulmans' montre
que celles ci varient , et parfois dramatiquement, d'un pays à
l'autre, s'inspirant non seulement de différentes interprétations
religieuses, mais aussi de pratiques culturelles diverses selon les
continents où l'islam s'est répandu, et de circonstances historiques
et politiques spécifiques, y compris coloniales* - toutes sources qui
ne sont manifestement pas divines.
C'est là la première conséquence néfaste de la façon qu'a Obama
d'essentialiser l'islam et d'homogénéiser les 'musulmans': quelle que
soit sa critique des intégristes - qu'il appelle une 'minorité
d'extrémistes' - , il utilise leur langage et leurs concepts. Voilà
qui peut difficilement soutenir la cause des anti intégristes dans les
pays musulmans.
Ensuite, Obama parle aux religions , pas aux citoyens, pas aux
nations ni aux pays. Pour lui, il va de soi que chacun doit avoir une
religion; le fait le trouble peu que, bien souvent, les gens subissent
une identité religieuse qui leur est imposée par la force. Il est de
plus en plus fréquent que, dans les pays 'musulmans', les citoyens
soient forcés à observer une pratique religieuse**, et qu'ils payent
toute dissidence de leur liberté et parfois de leur vie. C'est donc un
grand coup que leur porte le Président des Etats Unis, à eux, à leurs
droits humains, à leur liberté de pensée, à leur liberté d'expression,
quand il soutient publiquement l'idée que tout citoyen d'un pays où
l'islam est la religion majoritaire est automatiquement un croyant
musulman ( sauf à être d'une religion autre minoritaire).
Qu'ils soient croyants ou pas, pratiquants ou pas, les citoyens
décident parfois que la religion ne sera pas leur marqueur
identitaire. Par exemple, ils peuvent donner priorité à leur identité
en tant que citoyens. Bien des citoyens de pays 'musulmans' entendent
cantonner la religion à sa place et l'écarter de la politique. Ils
soutiennent la laïcité et veulent des lois laïques, c'est à dire des
lois démocratiquement votées par le peuple, modifiables selon le choix
et le vote du peuple; ils s'opposent, au nom de la règle
démocratique, à l'introduction de lois immuables, a-historiques et
supposées divines. Ils combattent le pouvoir des religieux.
Obama prétend défendre la démocratie, le processus démocratique et les
droits humains. Comment cela est il compatible avec le fait de
s'adresser à des nations entières à travers leur identité religieuse
présumée, et par le fait même imposée?
Où est la place des laïcs dans le discours d'Obama? La place de leur
droit démocratique de voter les lois et non de se les voir imposer au
nom de dieu? La place de leur droit humain fondamental de croire ou de
ne pas croire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer? Ils n'ont tout
simplement pas droit à l'existence. Ils sont ignorés. Ils sont rendus
invisibles. Ils sont faits 'musulmans'. Et pas seulement par nos
gouvernements oppressifs - mais par Obama aussi... Et quand il fait
référence à ses concitoyens, ces ' 7 millions de musulmans
américains', s'est-il enquis de leur foi personnelle ou a-t-il induit
celle ci de leurs origines géographiques?
Au sein de ce carcan religieux, les droits des femmes sont limités à
l'éducation - et Obama fait clairement savoir que pour lui,
contrairement aux arrogants occidentaux dont il se démarque , le voile
n'est pas un obstacle à l'émancipation. Et encore moins, si c'est
'leur choix', à ces femmes... Et pendant ce temps là, l'Iran, juste à
côté, au nom de ses lois religieuses, pourchasse avec sa milice de
moralité , juge et emprisonne les femmes qui ont laissé échapper une
mèche de cheveux... Et que dire de l'Afghanistan ou de l'Algérie,
dont les femmes furent kidnappées, torturées, violées, mutilées,
brûlées vives, égorgées, exterminées, pour ne s'être pas couvertes***?
A aucun moment Obama ne soulève la question de savoir qui définit la
culture, qui définit la religion, qui parle au nom des musulmans - et
pourquoi ce ne seraient pas les femmes elles mêmes qui les
définiraient, cette culture et cette religion,- sans religieux, sans
police de moralité, sans vieux leaders religieux conservateurs auto
proclamés,- si leurs droits humains fondamentaux étaient vraiment
respectés? De toute évidence, Obama a négocié les droits des femmes
contre des alliances économiques et politiques avec 'l'islam'... Il
est vrai que 'l'islam' possède du pétrole, entre autres.
Oui, ce discours est bien conforme à celui d'un Président américain:
Obama reste confiné au clash des civilisations- religions. Comment un
tel discours pourrait il nous sauver de la montée mondiale des
intégrismes religieux, qu'il était supposé battre en brèche? Obama
affirme que, ' aussi longtemps que notre relation sera définie par
nos différences, cela renforcera ceux qui sèment la haine.../...
déclenchent les conflits...', mais la seule chose qu'il trouve que
nous avons en commun c'est 'd'aimer nos familles, nos communautés et
notre dieu'...Les intégristes musulmans ne désavoueraient pas un tel
programme.
In God we trust...